Par Cheikh Fall, Fondateur de The Third Path Africa
Résumé
Alors que le nouveau gouvernement sénégalais affronte l’héritage des emprunts dissimulés sous Macky Sall, le FMI a gelé ses décaissements — invoquant une fausse déclaration qu’il n’a pas su détecter, malgré sa présence active dans le pays. Cette tribune examine les angles morts institutionnels qui ont permis l’endettement hors bilan, le fardeau injuste imposé aux réformateurs, et la nécessité urgente d’un nouveau pacte entre les États africains et les institutions financières internationales. Le Sénégal mérite du soutien, pas des sanctions, pour avoir choisi la voie de la transparence.
I. La dette cachée : Comment l’administration Sall a dissimulé des milliards
Entre 2019 et 2024, l’architecture budgétaire du Sénégal a été discrètement altérée par une série de mécanismes d’emprunts hors bilan orchestrés sous le président Macky Sall. Alors que les chiffres officiels indiquaient une trajectoire maîtrisée — avec un ratio dette/PIB autour de 74 % — les audits indépendants commandés par l’actuelle administration ont révélé une réalité bien plus préoccupante. Le fardeau réel de la dette aurait dépassé 100 % du PIB, alimenté par des passifs non déclarés, des garanties implicites de l’État, et des montages financiers opaquesimpliquant des entreprises publiques.
Ces pratiques ne relevaient pas de l’exception. Elles formaient un schéma d’opacité budgétaire visant à préserver l’accès du Sénégal aux prêts concessionnels et aux marchés obligataires internationaux. Les mécanismes clés incluaient :
- Des emprunts hors bilan réalisés par des entreprises publiques, avec des garanties implicites jamais communiquées au FMI ni au public
- La sous-déclaration des déficits budgétaires, obtenue par le report de paiements et la reclassification de dépenses
- L’utilisation d’instruments financiers opaques, tels que les crédits fournisseurs et les prêts syndiqués, échappant au contrôle parlementaire
Le résultat : une image macroéconomique faussée, permettant à l’administration Sall de se présenter comme disciplinée budgétairement tout en accumulant une dette insoutenable. Cette tromperie a non seulement induit en erreur les bailleurs internationaux, mais elle a aussi sapé la responsabilité démocratique, en dissimulant des décisions budgétaires majeures.
Les estimations préliminaires suggèrent que 7 à 13 milliards de dollars de passifs ont été dissimulés. Ces montants dépassent largement le budget annuel du Sénégal et représentent un fardeau générationnel pour les finances publiques. Plus encore, ils révèlent une défaillance systémique de la gouvernance budgétaire — indissociable des institutions censées exercer une surveillance.
II. L’échec de la surveillance du FMI
Le Fonds monétaire international n’était pas un observateur passif durant les années de fausse déclaration budgétaire. Il était un partenaire actif — menant des consultations régulières au titre de l’article IV, approuvant des décaissements dans le cadre de la Facilité élargie de crédit (FEC), et publiant des évaluations optimistes de la stabilité macroéconomique du Sénégal. Pourtant, malgré sa présence, le FMI n’a pas détecté l’ampleur ni la nature des emprunts dissimulés qui menacent aujourd’hui la crédibilité budgétaire du pays.
Cette défaillance n’est pas seulement technique — elle est institutionnelle. Le cadre de surveillance du FMI repose sur les données fournies par les autorités nationales, mais inclut aussi des mécanismes de vérification indépendante, des analyses de risques et des évaluations de soutenabilité de la dette. Dans le cas du Sénégal, ces outils se sont révélés insuffisants. Le Fonds n’a pas identifié la montée des passifs des entreprises publiques, ni remis en question la cohérence entre les déficits déclarés et les niveaux de dépenses observés. Il a accepté les chiffres officiels sans les confronter à la réalité.
Dans une rare admission, le chef de mission du FMI, Edward Gemayel, a reconnu que la fausse déclaration avait permis à l’administration Sall de “donner un signal plus positif aux marchés financiers” et de “contracter plus de dettes que ce qui aurait été possible si la dette avait été correctement déclarée.” Cette déclaration, bien que honnête, souligne un problème plus profond : l’incapacité du FMI à jouer son rôle de vigie budgétaire au moment critique.
Les conséquences sont aujourd’hui supportées par un gouvernement qui n’a aucune responsabilité dans cette tromperie. Le FMI a gelé 1,8 milliard de dollars de décaissements, invoquant une fausse déclaration survenue sous une administration précédente. Pourtant, il n’a publié aucun bilan de ses propres manquements, ni proposé de réformes pour éviter que de telles lacunes ne se reproduisent.
Cette asymétrie — où les gouvernements africains sont soumis à des normes strictes de conformité, tandis que les institutions multilatérales échappent à toute reddition de comptes — mine les principes mêmes de partenariat et de responsabilité que le FMI prétend défendre.
III. La réponse du nouveau gouvernement : transparence et réforme
Face à l’héritage accablant de la dette dissimulée, la nouvelle direction du Sénégal a choisi une voie que peu de gouvernements osent emprunter : la transparence totale. En quelques semaines, le président Bassirou Diomaye Fayeet le Premier ministre Ousmane Sonko ont commandé des audits indépendants, publié les résultats, et lancé des enquêtes judiciaires contre les anciens responsables impliqués. Ce n’était pas un geste politique — c’était un repositionnement stratégique de la gouvernance budgétaire du Sénégal.
La réponse du gouvernement a été rapide et exemplaire :
- Les audits ont été transmis au FMI et rendus publics, rompant avec des décennies d’opacité
- Des poursuites judiciaires ont été engagées contre les figures clés de l’ancienne administration
- Des réformes institutionnelles sont en cours, notamment la centralisation des comptes publics dans un compte unique du Trésor et la refonte des protocoles de gestion de la dette
Ces actions traduisent une philosophie plus large : la souveraineté repose sur la crédibilité, et la réforme économique commence par la vérité. En choisissant la transparence plutôt que la dissimulation, l’administration Faye a démontré un courage politique rare — qui devrait être salué par la communauté internationale, et non sanctionné.
Pourtant, la réponse du FMI reste timide. Malgré la coopération totale des autorités sénégalaises, le Fonds n’a pas approuvé de dérogation pour la fausse déclaration, ni repris les décaissements. Le Sénégal est contraint de se tourner vers les marchés régionaux pour financer ses besoins à court terme, à des taux plus élevés — aggravant la pression budgétaire sur un gouvernement déjà engagé dans une reprise économique fragile.
Le Premier ministre Sonko a justement dénoncé cette posture :
“Nous sommes sanctionnés pour une crise que nous n’avons pas créée. Le FMI était présent, surveillait, et pourtant n’a rien vu. Aujourd’hui, il bloque les fonds pendant que nous tentons de réparer les dégâts.”
Ce moment dépasse le cadre sénégalais. Il interroge la crédibilité même de la réforme — et la volonté des institutions internationales de soutenir les gouvernements qui choisissent l’intégrité plutôt que le déni.
IV. Sanction ou partenariat : repenser la responsabilité du FMI
La décision du FMI de geler les décaissements en réponse à une fausse déclaration passée soulève une question fondamentale : le Fonds est-il un partenaire de réforme ou simplement un créancier qui impose la conformité ? Si la transparence est sanctionnée, alors l’incitation à réformer s’effondre — et le message envoyé aux gouvernements africains devient clair : mieux vaut dissimuler que dévoiler.
Cette posture punitive compromet non seulement la reprise économique du Sénégal, mais aussi la légitimité du FMI sur le continent. Elle suggère que les défaillances institutionnelles du Fonds — y compris son incapacité à détecter les emprunts hors bilan — restent sans conséquence, tandis que les gouvernements qui les révèlent en paient le prix.
Une telle asymétrie est intenable. Pour rester un acteur crédible du développement africain, le FMI doit :
- Reconnaître ses propres manquements et publier un bilan interne de son engagement au Sénégal entre 2019 et 2024
- Réformer ses outils de surveillance, en intégrant une analyse plus fine des passifs des entreprises publiques, des crédits fournisseurs et des risques d’opacité budgétaire
- Créer un mécanisme d’incitation à la transparence, où les gouvernements qui révèlent des irrégularités passées sont soutenus — et non pénalisés — dans leurs efforts de réforme
Le cas du Sénégal doit servir de précédent, non d’avertissement. Le pays a montré que la réforme commence par la vérité. Il revient au FMI de prouver qu’il peut répondre avec équité.
Ce n’est pas un appel à l’indulgence. C’est un appel à une responsabilité partagée — où les gouvernements et les institutions sont tenus aux mêmes standards d’intégrité. Toute autre approche risque d’ancrer un cycle de méfiance et de fragilité budgétaire à travers le Sud global.