By Cheikh Fall, Founder of The Third Path Africa
Alors que le Sénégal célèbre les 90 ans du président Abdou Diouf, il convient de rendre hommage non seulement à l’homme, mais à la résilience qu’il a incarnée durant l’une des périodes les plus turbulentes de notre histoire nationale. Diouf n’a pas hérité d’un manteau de gloire — il a hérité d’une fragilité. Sa présidence, de 1981 à 2000, ne fut pas marquée par le panache ou le populisme, mais par le travail silencieux de réparation institutionnelle.
Diouf est arrivé au pouvoir par succession constitutionnelle, non par acclamation révolutionnaire. Son ascension a déclenché ce que j’ai qualifié de « crise de légitimité » au sein des élites dirigeantes — un moment où le charisme faisait défaut et où la continuité était remise en question. Pour consolider son autorité, Diouf, avec l’appui stratégique de Jean Collin, a purgé une grande partie de l’ancienne garde senghorienne. Ce choix, bien que nécessaire pour asseoir son pouvoir, a coûté cher en mémoire institutionnelle, laissant l’État vulnérable aux chocs.
Et les chocs ne se sont pas fait attendre.
La mutinerie policière de 1982 et l’éruption de la crise en Casamance ne furent pas des événements isolés — ils étaient les symptômes d’un appareil étatique affaibli. Le gouvernement de Diouf a réagi avec fermeté, mais l’absence de vétérans politiques a rendu la résolution des conflits difficile. Ce furent des années de gouvernance sous pression.
Sur le plan économique, Diouf a hérité d’un effondrement : dette publique galopante, entreprises étatiques défaillantes, urgences alimentaires liées à la sécheresse. Pourtant, il n’a pas fléchi. Il a mis en œuvre presque toutes les réformes structurelles exigées par le FMI et la Banque mondiale, assumant le coût politique de l’austérité pour rétablir l’équilibre macroéconomique dès le milieu des années 1990. La reprise fut inégale, et beaucoup de Sénégalais ont souffert sans en percevoir les fruits. Mais les fondations étaient posées.
Lorsque Diouf a transmis le pouvoir pacifiquement en 2000 — un jalon démocratique en soi — le Sénégal était plus stable qu’il ne l’était en 1981. Son successeur a récolté les bénéfices de cette stabilité, mais c’est Diouf qui en a payé le prix.
Et pourtant, malgré les vents contraires, Abdou Diouf a incarné une forme rare de grandeur politique : celle qui ne cherche pas à briller, mais à bâtir. Il fut un homme d’État sans ostentation, mais avec une rigueur morale et institutionnelle qui force le respect. Son attachement au multipartisme, à la pluralité médiatique, et à la transmission pacifique du pouvoir a posé les jalons d’une démocratie sénégalaise durable. Dans un continent souvent secoué par les ruptures brutales, Diouf a offert un modèle de continuité, de retenue, et de dignité républicaine. À 90 ans, il demeure une figure tutélaire — non pas pour ce qu’il a conquis, mais pour ce qu’il a préservé.
Honorons-le non seulement pour ce qu’il a accompli, mais pour ce qu’il a enduré.