Par Cheikh Fall, Fondateur de Third Path Africa
À l’heure où les communautés musulmanes du Sénégal, d’Afrique et du monde entier se préparent à célébrer le Mawlid al-Nabi, j’ai eu l’immense honneur de rédiger cet article en hommage et en réflexion sur la portée durable de cet événement sacré.
Une approche intégrée du capital humain
Contrairement aux approches modernes du développement qui compartimentent souvent l’éducation, l’économie et le bien-être social, les principes islamiques ont établi un cadre interconnecté où le développement spirituel, intellectuel, économique et social est compris comme des priorités mutuellement renforçantes. Le premier mot révélé dans le Coran, « Iqra » (lis/récite), a immédiatement placé l’apprentissage au cœur de la foi, avec le Prophète insistant sur le fait que la quête du savoir est une obligation pour tous—dépassant les barrières de genre et de classe bien avant que ces concepts ne deviennent courants dans la pensée du développement.
Il ne s’agissait pas simplement d’un progrès individuel. Cette approche intégrée reconnaissait que le développement humain durable exige une attention simultanée aux systèmes de connaissance, à la justice économique, à la cohésion sociale et à la gouvernance éthique. Ces éléments créent des cycles vertueux qui construisent une véritable capacité plutôt qu’une dépendance.
La justice économique comme fondement du développement
Le cadre économique islamique introduit des principes qui répondent directement aux défis contemporains liés aux inégalités et à la croissance durable. L’interdiction de l’usure, l’établissement de la redistribution des richesses par la zakat, et l’accent mis sur l’investissement productif plutôt que sur la spéculation ont créé des systèmes conçus pour la circulation des richesses plutôt que leur concentration. Le parcours du Prophète en tant que commerçant a valorisé les pratiques commerciales honnêtes tout en établissant des limites éthiques claires.
Ces principes ont anticipé les préoccupations modernes concernant la finance prédatrice et l’économie extractive. Là où le développement contemporain peine à créer une croissance économique durable au bénéfice des populations, le cadre islamique propose des mécanismes garantissant que l’avancement économique serve le développement humain collectif plutôt que l’accumulation élitiste.
Construire le capital social par la responsabilité communautaire
Le concept d’ummah (communauté) a établi la responsabilité collective et le soutien mutuel comme fondements du développement sociétal. Cela a créé des liens sociaux facilitant le transfert de connaissances, la coopération économique et la résilience face aux défis. Les droits d’héritage des femmes, leur droit de propriété et leur participation au commerce représentaient une avancée significative dans l’utilisation du plein potentiel du capital humain de la société.
Dans les contextes fragiles en particulier, cet accent sur le capital social et la propriété communautaire devient essentiel. Les interventions techniques échouent souvent lorsqu’elles ne tiennent pas compte de la confiance sociale, de la gouvernance légitime et de l’autonomie communautaire—précisément les éléments que les enseignements islamiques ont priorisés à travers les concepts de justice (adl) et de consultation (shura).
L’impasse du développement fragmenté
La pertinence de ces principes intégrés devient évidente lorsque l’on examine pourquoi les efforts de développement contemporains échouent souvent. Fort de mes 26 années d’expérience sur le terrain, je constate que le problème fondamental est que « les nations développées et les institutions de développement international n’ont pas toujours à cœur les véritables intérêts des populations qu’elles prétendent aider. » Au lieu de construire une capacité authentique—d’apprendre à pêcher—le système crée souvent une dépendance tout en servant des intérêts externes.
Ce défi est particulièrement aigu en Afrique, où la fragmentation coloniale a délibérément perturbé les systèmes de gouvernance indigènes et créé des structures conçues pour l’extraction plutôt que pour le développement autonome. Les frontières arbitraires issues de la Conférence de Berlin ont divisé des communautés homogènes et fusionné des groupes disparates, créant des blessures durables que les approches de développement contemporaines peinent à guérir précisément parce qu’elles manquent du cadre intégré et fondé sur des valeurs nécessaire à une véritable croissance.
Une voie à suivre
L’approche islamique du développement humain offre plusieurs enseignements critiques pour la conception des politiques et des programmes contemporains :
• Pensée systémique : Reconnaître que la réduction de la pauvreté, l’éducation, la croissance économique et la stabilité sociale sont des défis interconnectés nécessitant des réponses coordonnées plutôt que des interventions cloisonnées.
• Économie fondée sur des valeurs : Établir des cadres éthiques qui privilégient l’investissement productif, la circulation des richesses et le bénéfice collectif plutôt que l’accumulation et l’extraction.
• Renforcement des capacités inclusif : Veiller à ce que le transfert de connaissances et la participation économique incluent tous les membres de la communauté, en reconnaissant que le développement durable exige le plein potentiel humain de la société.
• Propriété communautaire : Fonder les approches de développement sur les valeurs indigènes et les structures de gouvernance locales plutôt que d’imposer des modèles externes qui peuvent entrer en conflit avec le tissu social local.
Ces principes ne représentent pas un retour au passé, mais plutôt une redécouverte d’approches intégrées qui peuvent inspirer des stratégies de développement plus efficaces et durables. À une époque où les modèles de développement fragmentés et extractifs ont montré leurs limites, la voie la plus progressiste pourrait bien résider dans l’adoption de cadres qui ont toujours compris l’épanouissement humain comme intrinsèquement interconnecté et centré sur la communauté.
Le défi pour les praticiens du développement moderne n’est pas seulement technique mais philosophique : passer d’approches qui créent involontairement de la dépendance à celles qui construisent véritablement une capacité autonome permettant aux communautés de définir et de réaliser leur propre vision de l’épanouissement. Les enseignements du Prophète Muhammad suggèrent que cela a toujours été possible—il nous faut simplement la sagesse de reconnaître et d’appliquer ces principes durables aux défis contemporains.