Le Conseil de sécurité de l’ONU ne peut pas être réformé — il doit être remplacé. 

Par Cheikh Fall, Third Path Africa

Lorsqu’un organe mondial de décision cesse de servir le bien commun, sa reconstruction devient non seulement un impératif moral, mais un devoir historique. Pourtant, soixante-dix-neuf ans après sa création, le Conseil de sécurité des Nations Unies demeure un vestige des rapports de force de l’après-Seconde Guerre mondiale — un système totalement déphasé par rapport au monde d’aujourd’hui.

L’illusion d’une réforme progressive a perduré des décennies durant. Nous avons vu défiler des dialogues, des groupes de travail, des négociations diplomatiques — tous sans résultat. Pourquoi ? Parce que le système a été conçu pour empêcher sa propre transformation. Les cinq membres permanents détiennent un droit de veto qui bloque non seulement l’action internationale, mais aussi toute tentative de rendre le Conseil plus représentatif et équitable.

L’Afrique, avec ses 54 nations et plus d’un milliard d’habitants, n’a aucun siège permanent. L’Amérique latine non plus. Et pourtant, ces régions sont parmi les plus souvent concernées par les résolutions du Conseil, dont l’avenir continue d’être décidé par des puissances héritières d’un ordre colonial qu’elles perpétuent encore.

À Third Path Africa, nous estimons que le temps des requêtes polies est révolu. Nous proposons trois changements essentiels :

Premièrement, abolir le droit de veto. Cette relique antidémocratique permet à cinq pays de paralyser l’action collective pendant que des millions meurent dans des conflits que le Conseil refuse d’aborder. Ce droit a été utilisé des centaines de fois, non pas pour défendre la paix, mais pour protéger les alliés des puissants et servir leurs intérêts particuliers.

Deuxièmement, élargir la composition du Conseil afin qu’elle reflète la réalité actuelle. L’Afrique doit disposer d’au moins deux sièges permanents, attribués selon un mécanisme de rotation au sein de l’Union africaine. Plus largement, la représentation permanente devrait être repensée selon une logique de blocs régionaux : l’Union européenne, l’Union africaine, la Ligue arabe, l’ASEAN et les Amériques. Cela mettrait fin à l’anomalie historique qui voit encore la Grande-Bretagne et la France occuper des sièges distincts, comme si nous étions toujours au XIXe siècle.

Troisièmement, il est temps d’évaluer si les membres permanents actuels méritent toujours leur statut. Quels critères devraient le justifier ? La puissance économique ? La capacité militaire ? La contribution à la paix mondiale ? Si l’on appliquait des critères objectifs, la Russie, la Grande-Bretagne et la France seraient-elles toujours éligibles ? Ou conservent-elles leurs sièges par simple inertie historique ?

La réaction des membres permanents sera sans surprise : le rejet catégorique. C’est précisément pourquoi il faut changer de stratégie.

Nous sommes en 2025. Soixante-dix ans ont passé depuis la Conférence de Bandung. Les pays du Sud ne sont plus des suppliants en quête de reconnaissance. Nous représentons désormais près de 55% du PIB mondial en PPA, la première puissance manufacturière et exportatrice, et environ 85% de la population planétaire. Nous avons nos propres institutions : l’Union africaine, l’ASEAN, les BRICS, la Nouvelle Banque de développement. Nos dépendances ont diminué, nos capacités collectives se sont affirmées.

La solution ne réside pas dans une nouvelle feuille de route ni dans un énième plan de réforme. Ces processus offrent surtout aux puissants un moyen de gagner du temps — de semer la division, d’accorder des concessions symboliques et de préserver leur hégémonie. L’histoire nous enseigne qu’un changement véritablement systémique ne survient jamais par étapes progressives, mais par une action audacieuse et coordonnée.

Les États non membres permanents du Conseil doivent envisager de se retirer du système des Nations Unies si toute réforme sérieuse continue d’être bloquée. Ce ne serait pas une menace, mais une réalité assumée : celle de bâtir un nouvel ordre international, fondé sur le monde d’aujourd’hui plutôt que sur celui de 1945.

Cet ordre alternatif aurait besoin de son propre cadre de sécurité, de ses institutions de développement, de sa cour internationale et de ses agences humanitaires. Est-ce faisable ? La question n’est pas celle des capacités, mais celle de la volonté. Avons-nous le courage collectif de dire : assez ?

Certains qualifieront cette vision d’irréaliste. Mais ce qui est véritablement irréaliste, c’est d’attendre justice d’un système conçu pour l’empêcher. C’est de croire que cinq nations, enivrés par leurs privilèges, renonceront volontairement au pouvoir. C’est d’espérer que soixante-dix-neuf années supplémentaires de “dialogue” produiront un résultat différent.

Le destin du monde doit appartenir à tous, et non à quelques-uns. Si l’ordre actuel ne peut intégrer ce principe fondamental de justice, il a perdu toute légitimité.  

La seule question qui demeure est : quand aurons-nous le courage d’agir ?

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