Par Cheikh Fall, The Third Path Africa
Seville, 30 June 2025
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Séville – Entre Cérémonie et Conséquence
Les slogans se renouvellent, mais les enjeux demeurent. Une fois encore, le monde se rassemble sous des plafonds dorés, porté par des promesses ambitieuses, pour repenser le financement du développement dans un avenir qui s’effrite déjà pour une grande partie du Sud global. Mais pour celles et ceux qui ont parcouru les couloirs feutrés des sommets passés — de Monterrey à Doha, d’Addis-Abeba à aujourd’hui — une question persiste, plus forte que les discours : n’avons-nous pas déjà arpenté ce chemin ?
Au cœur de cette conférence brille le “Compromiso de Sevilla”, un agenda audacieux visant à réformer les mécanismes financiers mondiaux. Ses mots sont hardis, ses principes, ambitieux : tripler les prêts des banques multilatérales, élargir le soutien concessionnel, redéfinir les règles avec les pays débiteurs. Pourtant, derrière l’éclat des projecteurs et le murmure des déclarations, un risque plane: que ce tournant annoncé ne soit qu’un détour savamment orchestré.
L’Architecture de la Déception
Ce n’est pas du cynisme, mais une leçon de mémoire.
Les sommets d’hier ont vu naître des cadres prometteurs, mais l’alignement entre ressources, réformes et responsabilités s’est trop souvent évanoui. Les paroles ont éclipsé les actes. Les engagements se sont dérobés aux conséquences.
Déjà, des failles se dessinent. Le Compromiso de Sevilla, bien que visionnaire, reste largement non contraignant. Des propositions audacieuses — un cadre fiscal mondial sous l’égide des Nations Unies, des mécanismes automatiques d’allègement de la dette — s’effacent dans les tractations en coulisses. L’absence notable des États-Unis fragilise l’unité, rendant le consensus plus aisé sur le papier qu’ancré dans la réalité.
Entre Divergence et Vision
L’urgence, elle, est indéniable. Le FMI le souligne: la reprise post-pandémique a largement négligé les plus vulnérables. Parmi les 70 pays à faible revenu éligibles aux prêts concessionnels, les 38 économies diversifiées affichent une croissance fragile mais réelle. Les États en conflit ou fragiles, eux, s’enfoncent davantage, prisonniers de la pauvreté, de l’insécurité alimentaire et d’un endettement écrasant.
Les flux financiers vers ces nations se tarissent, alors que leurs besoins — éducation, santé, infrastructures — s’amplifient. Si certaines propositions de Séville misent sur les capitaux privés, peu offrent les garanties nécessaires pour partager les risques, assurer la durabilité ou inclure équitablement les pays dans les décisions.
C’est une histoire de différenciation sans équité. Les économies émergentes sont poussées vers les marchés privés; les plus fragiles se contentent d’une aide erratique — toujours annoncée, rarement pérennisée.
De la Scène à la Substance
La scénographie de Séville n’est pas le problème. Le danger réside dans la substitution de la mise en scène à la transformation véritable — lorsque de nouvelles feuilles de route reposent sur des fondations inchangées : extraction, asymétrie, conditionnalité.
Des avancées méritent d’être reconnues : les forums de la société civile vibrent d’énergie, et plusieurs délégations africaines portent des propositions audacieuses — mécanismes contracycliques, plateformes régionales de résolution des dettes. Mais sans un courage politique affirmé des bailleurs, sans une volonté de repenser les rapports de force, ces idées risquent de demeurer en marge.
Ce que “La Troisième Voie” proclame est clair: le changement structurel n’est pas une annexe, mais un choix délibéré. Il exige :
– De substituer la coresponsabilité à la charité
– D’anticiper les restructurations, plutôt que d’attendre l’effondrement
– De placer la dignité au cœur des intentions comme des actions
Nous n’appelons pas à plus de déclarations. Nous appelons à des conséquences.
Une Veille au-delà du Sommet
L’essentiel à Séville ne se jouera pas dans les mots prononcés cette semaine, mais dans ceux rappelés dans un an. Ce qui aura été financé. Ce qui aura été réformé. Ce qui aura été transformé.
Pour beaucoup, cette conférence ne sera ni un aboutissement ni un apogée, mais un recalibrage de notre boussole collective. Pour discerner où le pouvoir résiste, où la solidarité s’enracine, et où le travail patient de refondation devra se poursuivre.
Séville peut encore marquer un tournant. À condition de dépasser les promesses susurrées sous les lustres, pour s’engager dans l’exigeante œuvre de réinventer le système.”La Troisième Voie” veille. Non par seul espoir, mais par mémoire et par exigence.