Une Afrique Unie: L’impératif de Reconquérir un Destin Volé

By Cheikh Fall, Third Path Africa

« Diviser pour régner, crie le politicien ; unir et diriger, tel est le mot d’ordre des sages », proclamait Kwame Nkrumah, leader visionnaire du Ghana.

Un Continent Morcelé, un Destin à Reconquérir

La Conférence de Berlin de 1884-1885 a entériné la partition arbitraire de l’Afrique sans la moindre consultation de ses peuples, ignorant délibérément les réalités ethniques, culturelles et historiques. Les frontières tracées servaient exclusivement les intérêts coloniaux des puissances européennes — Belgique, France, Royaume-Uni — en fragmentant des groupes homogènes et en fusionnant des entités disparates, semant des crises identitaires et alimentant des conflits durables. Ce découpage a démantelé les structures de gouvernance indigènes, imposé des systèmes administratifs étrangers, et gravement entravé le développement autonome du continent — des blessures profondes qui continuent de façonner l’Afrique contemporaine.

Cette fragmentation, exacerbée par des décennies de domination coloniale et intensifiée après les indépendances, a pris une nouvelle forme lorsque les anciennes puissances ont infiltré les gouvernements africains avec des conseillers stratégiques — verrouillant des accords lucratifs tout en restreignant la souveraineté. Cette ère néocoloniale n’était pas fortuite ; elle relevait d’une stratégie délibérée visant à rendre les États nouvellement indépendants structurellement vulnérables, désorganisés,  incapables de s’imposer comme puissances émergentes et de s’élever comme les rivaux de demain. Elle a jeté les bases d’institutions défaillantes, d’une gouvernance fragile, et d’une génération de despotes — des dirigeants corrompus dont le règne a précipité leurs nations dans des crises politiques, économiques et sociales aiguës.

Ces dynamiques déstabilisatrices ont ouvert la voie à l’arrivée brutale des programmes d’ajustement structurel, imposés par les institutions de Bretton Woods sous couvert de remèdes. Pourtant, leur implication n’était nullement neutre : leurs prescriptions structurelles, leur influence politique et leur alignement avec les intérêts économiques occidentaux ont activement façonné les conditions mêmes qu’elles prétendaient corriger. Ces programmes ont servi d’instruments pour s’approprier les richesses des jeunes nations par des privatisations massives et inhumaines, permettant à des intérêts étrangers de prendre le contrôle majoritaire d’actifs stratégiques — télécommunications, services publics, ressources naturelles — autrefois gérés par des entités étatiques souveraines sous mandat public. Résultat : un drainage annuel de 200 milliards de dollars via des flux financiers illicites.

Toutefois, pour être équitable, certaines institutions comme la Banque mondiale ont reconnu les ravages causés et engagé des réformes pour changer de cap. Des stratégies de réduction de la pauvreté et des programmes d’atténuation de la vulnérabilité sont désormais mis en œuvre, et les récentes évolutions structurelles témoignent d’un effort renouvelé pour devenir un partenaire de développement plus équitable et réactif.

Contexte Historique — Visionnaires Trahis, Leçons Gravées

Les frontières imposées à Berlin ont fracturé des communautés entières, alimentant le génocide rwandais et les tensions persistantes entre la RDC et le Rwanda. L’éclatement du Soudan et la guerre entre l’Érythrée et l’Éthiopie illustrent également l’héritage toxique de conceptions extérieures. Pourtant, les panafricanistes ont résisté : Du Bois a rallié la diaspora ; Garvey a proclamé « L’Afrique aux Africains » ; Nkrumah rêvait des États-Unis d’Afrique ; Cabral et Kenyatta ont fusionné identité et libération ; Nyerere et Sélassié ont bâti la solidarité régionale ; Lumumba s’est battu pour la souveraineté du Congo avant d’être assassiné. Ces figures visionnaires, enracinées dans l’éthique communautaire d’ubuntu, ont porté l’âme du continent vers l’avant.

À l’opposé, le Groupe de Monrovia — avec des dirigeants tels que Senghor et Houphouët-Boigny — a maintenu les liens coloniaux. Leur fidélité aux arrangements monétaires hérités a enchaîné quatorze économies africaines à des mécanismes de contrôle externe, restreignant leur souveraineté. La Guerre froide a intensifié cette fragmentation, tandis que la politique de non-ingérence de l’OUA a paralysé les efforts d’unité. La leçon durable est claire : l’Afrique ne peut avancer sans institutions robustes, une cohérence stratégique affirmée, et une immunité face aux agendas étrangers.

Réflexion de Transition — Une Vision Justifiée, un Règlement de Comptes Retardé

Les premiers architectes de l’unité africaine avaient anticipé avec une lucidité remarquable ce que l’histoire allait confirmer : la division du continent n’était jamais simplement géographique — elle était intentionnelle, conçue pour fabriquer la dépendance et étouffer l’ambition continentale. Nkrumah, Nyerere et Cabral ont averti que la gouvernance fragmentée enchaînerait les nations africaines à des puissances extérieures, les rendant politiquement vulnérables, économiquement manipulables et culturellement désorientées. Leurs appels à l’unité n’étaient pas des élans idéalistes, mais des impératifs stratégiques fondés sur une lecture rigoureuse des dynamiques du pouvoir mondial.

Aujourd’hui, cet avertissement résonne avec une urgence renouvelée. Tandis que l’Asie a progressé grâce à des stratégies industrielles coordonnées et des trajectoires de développement souverain, les ambitions africaines restent freinées — voire bloquées — par les séquelles de la fragmentation. La dépendance aux entreprises d’infrastructure étrangères, à l’aide conditionnée et aux régimes de financement externes a distordu les priorités et affaibli l’autonomie. Rester divisé, c’est rester vulnérable.

L’urgence de former un bloc uni et résilient n’est plus une rhétorique — c’est une nécessité existentielle. Seule une consolidation continentale permettra à l’Afrique de bâtir des institutions capables de résister à la capture externe, de protéger ses actifs stratégiques et d’affirmer sa parité sur la scène mondiale. C’est sur cette base que des initiatives comme la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf), la Haute Autorité Africaine pour les Infrastructures de Transport Continentales (AHACTI) et d’autres cadres continentaux peuvent acquérir la traction politique, la cohérence infrastructurelle et la viabilité économique nécessaires pour transformer l’aspiration en réalisation — et livrer de véritables dividendes aux Africains.

Pourquoi Maintenant ? Un Héritage de Pillage Exige l’Unité

La ZLECAf, avec un potentiel commercial estimé à 450 milliards de dollars d’ici 2035, représente une bouée de sauvetage économique. Si elle est couplée à une intégration infrastructurelle souveraine via l’AHACTI, l’Afrique pourrait débloquer une croissance annuelle supplémentaire du PIB de 2 à 4 % dans les pays participants, réduire les coûts logistiques jusqu’à 5 % du PIB, et catalyser des pôles industriels régionaux — transformant les corridors commerciaux en leviers de souveraineté.

Avec une pénétration mobile de 80 % chez les jeunes et des publications virales dénonçant les structures monétaires héritées comme des « chaînes néocoloniales », l’unité n’est plus une aspiration — elle est une nécessité vitale. Pourtant, la promesse de la ZLECAf reste fragile sans infrastructures intégrées, cohérence institutionnelle et mécanismes de financement souverains capables de faire passer son potentiel du papier au terrain.

La dépossession de l’Afrique suit un arc brutal : l’esclavage a arraché 12 à 15 millions de vies ; la colonisation a dépouillé richesse et culture ; les conseillers néocoloniaux ont verrouillé des accords corrompus ; les programmes d’ajustement structurel ont éventré les services sociaux, réduisant les budgets de 50 % dans les pays soumis à des régimes monétaires arrimés à l’extérieur — où les finances publiques et la souveraineté monétaire restent sous contrôle étranger, encadrées par des paradigmes macroéconomiques obsolètes.

L’année 2025 incarne à la fois une crise et une opportunité. La ZLECAf pourrait sortir 30 millions de personnes de l’extrême pauvreté. L’Afrique détient 54 votes à l’ONU, contrôle 55 % du cobalt mondial, 60 % du cacao, 40 % des réserves d’or, et 90 % des métaux du groupe platine — des leviers stratégiques dans un monde multipolaire. Avec plus de 60 % de sa population âgée de moins de 25 ans, l’Afrique possède la plus grande démographie jeune au monde, prête à stimuler la croissance globale. L’activisme des jeunes explose sur les réseaux sociaux, exigeant souveraineté monétaire et autonomie continentale. Le moment de s’unir n’est pas demain — c’est maintenant.

Obstacles à Surmonter — et une Voie à Suivre

L’unité africaine se heurte à des défis persistants : la peur de perdre sa souveraineté, des économies inégalement développées, le sous-financement chronique de l’Union africaine, et 89 milliards de dollars d’aide liée qui perpétuent la dépendance. La fragmentation ethnique et la faiblesse des infrastructures — avec 40 % des Africains privés d’accès à des routes praticables toute l’année — aggravent la division.

Pour rendre la ZLECAf opérationnelle et renforcer l’intégration continentale, l’Afrique doit mobiliser entre 130 et 170 milliards de dollars par an en investissements infrastructurels. Cet écart infrastructurel constitue une contrainte majeure : des corridors fragmentés, des financements cloisonnés et un sous-investissement chronique ont maintenu les ambitions de la ZLECAf dans le domaine du souhaitable plutôt que du réalisable.

C’est ici que l’Afrique doit se tourner vers elle-même — vers des plateformes de livraison souveraines, conçues pour unifier la mobilité, la planification des ressources et les priorités de développement, en cohérence avec les ambitions du continent. Ce moment exige plus que des promesses : il exige de la résolution.

L’Afrique doit reprendre le contrôle de sa trajectoire de développement et bâtir des institutions qui incarnent ses valeurs, ses aspirations et son pouvoir collectif. La fragmentation a servi les intérêts extérieurs — l’unité servira l’Afrique. Le choix est clair : continuer comme des économies isolées, vulnérables à la manipulation, ou s’élever comme un bloc souverain, façonnant son avenir selon ses propres termes.

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